dimanche 10 février 2013

La gauche est-elle en état de mort cérébrale ?



J''ai finalement acheté le petit livre La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? de Philippe Corcuff, sociologue français qui milite depuis longtemps à gauche, aux éditions Textuel.

Sans lien direct avec les thématiques de ce blog, ce livre contient à mon avis des idées intéressantes, à la fois - indirectement - pour critiquer le discours de certains psychanalystes  (je pourrais faire un article dessus, d'ailleurs), et se débarrasser de modes de pensée d'une "gauche radicale" stéréotypée, donc indirectement, critiquer des raisonnements "défectueux".
La thèse de l'auteur est que la gauche française a gagné alors qu'elle était intellectuellement moribonde. Cela peut sembler paradoxal avec le développement des think tanks et autres cercles de réflexion, mais d'après lui, ceux-ci ne sont que des symptômes de la professionnalisation et technocratisation de la politique, droite comme gauche, qui a abandonné toute vision globale et cohérente.

Après une très courte partie I, sorte de liaison entre l'introduction et le reste, l'auteur détaille en partie II les penchants qui l'irritent dans la gauche radicale française actuelle. Les principaux :

la tendance au complotisme : passage assez pertinent (vous le savez sûrement déjà, mais les théories du complot n'existent pas qu'à l'extrême droite). Je ne vous cache pas que c'est quelque chose qui tend aussi à m'agacer, dans la gauche radicale actuelle. Visiblement, l'auteur est critique vis-à-vis des positions politiques de Chomsky, qu'il décrit comme étant à la limite du complotisme, voire incarnant un complotisme "soft" (qu'il oppose au complotisme "hard", le négationnisme par exemple).
Bien que l'auteur, en opposition, mette évidemment l'accent sur les logiques "impersonnelles", institutionnelles et sociales, qu'il essaie de mettre en avant, cela ne l'empêche pas de garder un rôle à l'intentionnalité. C'est une vision dans laquelle je me reconnais assez.

l'essentialisme : ici, l'auteur dénonce l'emploi de termes qui renvoient à des généralités, dans les deux sens du terme. Il critique les positions de Caroline Fourest et d'autres, qu'il juge "laïcardes", critiques vis-à-vis de l' "Islam" en ignorant les multiples réalités que recouvre ce terme. C'est un point qui est peu développé ici. Dans un autre passage plus réveillant pour moi, il critique aussi les positions-"miroirs" de Terra Nova et de sa rivale Gauche Populaire, qui selon lui oublient que le terme "populaire" recouvre des réalités diverses.
Bref, le chapitre oscille entre conseils de très bon aloi et d'autres peut-être plus critiquables, selon la sensibilité de chacun, mais reste intéressant et pertinent tout du long.

- la tendance à privilégier le politique par rapport à l'expérimentation sociétale : je reproche souvent en effet à la gauche radicale de vouloir faire la révolution sans savoir où elle va, en pensant que le processus révolutionnaire engendrerait des conditions qui se dépasseraient d'elles-mêmes. On a pu voir par le passé où cet état d'esprit nous a mené (même s'il est vrai qu'on est plus modéré qu'autrefois).
Contre cela, Corcuff réhabilite l'expérimentation sociale, et je suis plutôt d'accord. La fin de ce court chapitre aborde de façon pertinente le langage, même si j'ai quelques réserves.

le collectivisme : un point intéressant. Corcuff rappelle que la gauche est historiquement individualiste et il critique l'anti-individualisme primaire d'une partie de la gauche radicale. A notre époque hautement individualiste, la gauche devrait nourrir un individualisme positif plutôt que de sans arrêt critiquer l' "individualisme".

La partie III est consacrée aux impensés de la gauche, on y aborde le rapport au temps, la décroissance, la professionnalisation de la politique, les "laïcards", le rapport aux médias...
Plus inégal, à vrai dire. Selon moi, Corcuff a raison de dénoncer la tentation de la nostalgie et de l' "avant-gardisme léniniste" (tendance un peu paternaliste qui consiste à croire qu'on connaît mieux le bien des opprimés qu'eux-mêmes), mais il faut faire le tri sinon. Parfois, on a même l'impression qu'il se contredit*.
J'ai des réserves sur sa critique de la technocratie (mais je la trouve pertinente pour dénoncer le risque d'une nouvelle dérive bureaucratique) : selon moi, la politique n'est pas qu'une affaire d'opinions, mais aussi de compétences, et ainsi il n'est pas inutile de créer des petits groupes d'experts par thématique, tout dépend comment c'est organisé. Mais il a raison de souligner que le système politique devrait être repensé pour éviter la professionnalisation à outrance.

En résumé, c'est un petit livre qui se lit vite. Si vous êtes de gauche, quelque soit votre sensibilité, je vous invite à le lire, juste histoire de vous faire une opinion et peut-être de le critiquer sur un point ou un autre.

*Par exemple, il soutient la discrimination positive, ce qui me semble en contradiction avec sa dénonciation de l'essentialisme.

1 commentaire:

  1. A rappeler quand même que P. Corcuff avertit tout de suite qu'il force le trait.

    Je suis pour la discrimination positive, parce qu’elle donne des moyens aux groupes opprimés (minoritaires ou même majoritaire : les femmes) de casser les barrières réellement existantes.

    Rien d'essentialiste là-dedans, seulement le constant d’une solution pratiquement nécessaire : comme les dispositions concernant l'embauche des travailleurs handicapés.

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